Gestion intelligente de la demande et le stockage thermique dans les bâtiments institutionnels : une entrevue avec la professeure Katherine D’Avignon

Katherine D’Avignon est professeure au département de construction de l’École de technologie supérieure. Elle étudie l’efficacité énergétique des bâtiments et des infrastructures dans l’espoir d’améliorer leur profil énergétique et leur résilience. Ses recherches se concentrent sur les technologies de stockage d’énergie thermique, les systèmes CVCA écoénergétiques et leur contrôle.

 

Contexte : Au Québec, alors que le secteur résidentiel repose sur l’hydroélectricité comme source d’énergie propre, il semble que l’amélioration progressive de l’efficacité énergétique du secteur des bâtiments commerciaux et institutionnels pourrait être associée à des impacts tangibles pour l’atteinte des cibles de réduction de gaz à effet de serre.


Q1. Qu’en pensez-vous et comment les universités peuvent-elles soutenir la transition énergétique dans le secteur du bâtiment institutionnel ? 

R1: Le secteur institutionnel fait face à plusieurs défis : un parc immobilier vieillissant, des besoins croissants pour des écoles, des centre de soins de longue durée et, derrière tout ça, la nécessité d’exemplarité de l’état dans toutes ses actions. La recherche universitaire permet de supporter la transition énergétique en développant des outils et des techniques de gestion de la demande des bâtiments, permettant d’augmenter la part des énergies renouvelables dans le portefeuille énergétique des bâtiments sans nuir à leur résilience. Mais, encore plus important à mon avis, les universités permettent de former les experts et professionnels qui appuieront et exécuteront cette transition énergétique. À travers la formation qu’elles donnent aux étudiants d’aujourd’hui, les universités ont la possibilités d’amplifier et accélérer cette transition, en outillant les personnes qui devront la mettre en place et la maintenir. 

Q2. Quelle est la place du stockage thermique pour l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments ?

R2: Le stockage thermique agit sur la deuxième composante de la gérance environnementale ; il permet de récupérer et réutiliser de l’énergie qui serait autrement perdue. Les bâtiments rejettent continuellement de l’énergie. On peut penser aux rejets de chaleur lorsqu’on climatise une salle de serveur ou un comptoir réfrigéré au supermarché ou encore à l’eau chaude qu’on jette dans les égouts après un cycle de lavage dans une buanderie. Le stockage thermique permet de capter cette énergie, la conservée en attendant de l’utiliser plus tard. C’est aussi un puissant outils de gestion de la demande de puissance des bâtiments sur le réseau électrique. Hydro-Québec a d’ailleurs participé à la conception d’unités de stockage thermique électrique qui visent à réduire la demande de puissance des bâtiments durant les périodes de pointes hivernales. Il ne faut pas oublier que bien que l’hydroélectricité soit très propre, nous sommes de tout de même forcer de nous approvisionner ailleurs en période de pointe hivernale car les besoins excèdent présentement la capacité de production durant ces périodes. La transition énergétique qui est en cours et qui élimine progressivement l’usage des combustibles dans les bâtiment ajoutera des besoins sur le réseau électrique pendant ces périodes de pointe. Le stockage thermique permet de décaler ces besoins vers d’autres moments où le réseau est moins chargé ce qui permet d’augmenter la part des énergies renouvelables dans le portefeuille énergétique des bâtiments, de réduire leur bilan de GES et celui du réseau électrique tout entier. D’importantes activités R-D sont menées par des membres du RQEI (ÉTS, Transition énergétique Québec, Hydro-Québec, CanmetÉnergie, Concordia) afin d’appuyer le déploiement de technologies de stockage thermique tant au niveau de leur conception, de leur dimensionnement et de leur commande. 

Q3. Quelle est la place de l’intelligence artificielle pour l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments ? 

R3:  L’intelligence artificielle, et la science des données en général, est un outil de plus qui nous permettra d’améliorer l’opération des bâtiments en ce qui a trait à leur efficacité énergétique certainement mais aussi en terme de confort des occupants, au niveau de la résilience et de la flexibilité énergétique également. Je suis particulièrement intéressée par les opportunités que pourraient fournir les récentes avancées dans le domaine pour identifier plus rapidement les  bâtiments qui seraient de bons candidats pour certaines stratégies connues en gestion de la demande. Imaginez que, lors de la mise en place d’un nouveau programme de subvention ou d’une nouvelle structure tarifaire, Hydro-Québec pourrait utiliser un outil lui permettant d’identifier les bâtiments qui sont de bons candidats potentiels à ce programme, simplement en analysant leur profil électrique et quelques données générales, fournies par les rôles d’évaluation foncière par exemple. 

Q4. Que pensez-vous des enjeux liés à l’acceptabilité sociale en gestion énergétique intelligente des bâtiments ? 

R4: Je trouve cette question très importante. Bien qu’elle est présente dans l’industrie depuis des décennies, je suis heureuse qu’elle soit remise à l’avant plan dû aux récentes avancées technologiques. Il y a des question importantes qu’on doit se poser comme propriétaire de bâtiment, comme occupant, comme opérateur, comme concepteur. Quelles données est-il acceptable de soutirer aux occupants pour opérer un bâtiment? Comment ceux-ci peuvent-ils offrir leur consentement? Est-ce que ces réponses changent selon que l’objectif est d’optimiser le confort des occupants et la qualité de leur environnement intérieur ou la performance énergétique du bâtiment? Les occupants vont-ils juger une mesure d’économie énergétique trop dérangeantes vis-à-vis de leurs activités quotidiennes? Comment balancer les besoins et les droits des individues et de la société, dans l’immédiat et sur le long-terme? Des experts de différentes disciplines (ingénierie, économie, sciences sociales, philosophie, chimie, et j’en passe) doivent se regrouper autour d’une même table car toutes ces perspectives sont nécessaires pour adresser ces questions importantes. Dans les bâtiments institutionnels particulièrement, cette question va devenir un réel enjeu car on doit trouver un équilibre entre, d’une part le droit des individues à la vie privée et de l’autre, le rôle de l’état à fournir des bâtiments confortables et efficace.